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20% du gaz en France renouvelable en 2030 ?

France gaz a a appelé à relever les objectifs de production de biogaz pour 2030 dans cette LPEC et à viser 20% de gaz renouvelables et bas carbone dans la consommation nationale de gaz en 2030. Au delà des chiffres annoncés, c'est l'occasion de revenir sur cette filière.

La future loi de « programmation quinquennale sur l’énergie et le climat » (LPEC) doit fixer la trajectoire énergétique de la France sur la période 2028-2033, par source d’énergie, avec des niveaux de production prévus en 2033. Cette loi, dont découlent notamment les mises à jour de la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) et de la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) sera d’après le gouvernement promulguée au mieux en juin 2023.

L’industrie du gaz a appelé à relever les objectifs de production de biogaz pour 2030 dans cette LPEC et à viser 20% de gaz renouvelables et bas carbone dans la consommation nationale de gaz en 2030. Tout ceci est cohérent de l’exercice prospectif conduit par l’Ademe en 2018 qui fait état de la possibilité d’un approvisionnement en gaz 100 % renouvelable en 2050.

Ces gaz renouvelables sont obtenus selon plusieurs voies complémentaires de valorisation des différentes ressources en biomasses, dont les matières biodégradables agricoles.

Vizea, notamment dans les approches territoriales climat/air/énergie, est souvent confronté aux débats entre partisans / opposants à la méthanisation.

Cette annonce de France Gaz est ainsi l'occasion de revenir sur les ordre de grandeurs de la filière, les différentes contre-parties (avérées ou potentielles) et finalement les différents éléments réglementaires autour de cette solution énergétique.

Qu'est ce que la méthanisation agricole

Le biogaz est produit à partir de déchets organiques issus de l’agriculture, des boues de stations d’épuration ou encore des biodéchets des ménages, dont la collecte reste cependant totalement balbutiante en France.

La méthanisation agricole est le processus biologique qui permet de transformer des matières organiques en biogaz. Celui-ci est ensuite brûlé pour produire de la chaleur, de l'eau chaude sanitaire ou de l'électricité. En bref, le schéma idéal se résume en 4 points :

  • Valorisation des déchets organiques que produisent une exploitation agricole (lisier, fumier, déchets de cultures), une station d’épuration, une usine agroalimentaire.
  • Production du biométhane obtenu par fermentation en absence d'oxygène (anaérobie) des bactéries présentes dans les déjections animales ou substrats de végétaux. Concrètement, les matières organiques sont stockées et brassées dans un digesteur maintenu à une température comprise entre 20 et 60° Celsius. La fermentation optimisée et accélérée produit un biogaz constitué à 40 % de gaz carbonique (CO2), 55 % de méthane (CH4) et 5 % de gaz divers. Ce gaz non-fossile, est injectable directement dans le réseau ou brûlé pour produire de l’électricité et de la chaleur.
  • Récupération en fin de processus des résidus de matières organiques, appelés digestat, qui servent d’engrais.
  • Accroissement des revenus (le cas échéant pour l’agriculteur) en vendant du gaz ou de l’électricité tout en réduisant ses achats d’engrais.

Ou en est la filière ?

L'ADEME fournit quelques ordres de grandeur qui permettent de prendre conscience des enjeux :

  • Une vache laitière/an = 6 m3 de lisier + 6 t de fumier = 600 m3 de biogaz = 3 000 kWh d’énergie
  • Méthaniseur agricole 150 kW = 150 vaches laitières + 1200 t de résidus ou cultures intercalaires (CIVE) = 3 000 MWh de biogaz = consommation équivalente de 200 ménages
  • 1 000 kWh biogaz = 350 kWh électricité + 550 kWh chaleur =900 kWh biométhane = 900 kWh biocarburant (bioGnV)

Au 31 décembre 2021 :

  • la France comptait dans le domaine agricole 1065 méthaniseurs en activité et 840 projets étaient en attente de validation pour s’installer.
  • Avec 4,3 TWh sur une consommation totale de 474 TWh, le gaz renouvelable représentait 1 % du total en 2021. Sa production a plus que doublé en 2022, à 10 TWh, dans une année où la consommation gazière a baissé.

Une étude de mai 2022, portée par l'ADEME,  analyse financièrement 84 unités de méthanisation agricole dans le cadre de PROdige (programme d'acquisition et de diffusion de références sur la méthanisation agricole). Cette étude, portée par le réseau des Chambres d'Agriculture conclut que :

  • En cogénération, la production électrique moyenne atteint 88% du maximum possible et 43% des installations enquêtées dépassent 90%, ce qui témoigne de bonnes performances techniques. Au plan économique, le résultat établi sur une année est également favorable pour 80% des unités. La marge dégagée est en moyenne de 48 EUR par MWh d'électricité vendue mais avec une très grande dispersion de la plupart des critères étudiés.
  • En injection, l'échantillon étudié est jeune avec moins de recul, ce qui doit être pris en compte dans l'interprétation des résultats. Ceux-ci sont en moyenne très bons, tant sur le plan technique qu'économique avec toutefois une grande variabilité. La production de biométhane atteint en moyenne 92% du maximum possible avec quelques dysfonctionnements. Les résultats économiques sont bons à très bons pour plus de 85% des sites. La marge moyenne est de 31 EUR / MWh PCS produits mais avec une très grande hétérogénéité.

Pourquoi cela serait techniquement possible d’atteindre 20% de biogaz  en 2030?

France Gaz estime que la tendance actuelle se poursuivra, avec une consommation aux alentours de 400 TWh à horizon 2030.  Le syndicat entend parallèlement atteindre une production de 25 TWh de biogaz en 2025, et 80 TWh en 2030.

Pour rappel, s’ils y trouvent leurs comptes par ailleurs, les fournisseurs de gaz naturel qui contrôlent plus de 10% du marché national sont contraints, depuis le 29 juin 2020, d’acheter du biogaz à tout producteur qui en fait la demande.

Selon France Gaz ,ce biogaz sera issu

  • de la méthanisation, à hauteur de 50 TWh, dont 80% (environ 40 TWh) de méthanisation agricole. Ces méthaniseurs agricoles acceptent sans problème des bio déchets alimentaires, mais ce n’est pas la principale source. Les méthaniers utilisent des cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE) », utilisées entre deux rotations de cultures principales et « des résidus d’agriculture et d’élevages.
  • des déchets avec de nouvelles technologies (10 TWh), pour l’heure émergentes, telles que la pyrogazéification, qui consiste à chauffer les déchets à plus de 1.000 degrés en présence d’une faible quantité d’oxygène.

Quelles sont les contre-parties de la méthanisation?

A l’évidence, dans l’image d’Épinal de la méthanisation, le petit agriculteur utilise ses déchets, les méthanise, répartit le digestat comme engrais (limitant ainsi les engrais azotés industriels) sur tout son domaine en veillant à en utiliser juste ce qu’il faut pour ses cultures … et utilise le gaz pour produire localement soit sa propre chaleur soit son électricité… Super !

Sauf que… évidemment, pour massifier, il faut faire de grosses installations et donc il faut de l’argent, beaucoup d’argent. Le mythe du petit agriculteur s’effondre… place aux industriels (pas de jugement de valeur, il en faut aussi) qui risquent du coup privilégient les « intrants » les plus profitables (dans l’ordre les tourteaux de colza, les déchets et pailles de céréales, le maïs et les déchets animaux et en bas du podium, les lisiers et fumiers de porcs et de bovins).

On s'éloignerait alors des vœux de France gaz qui évoquent l’utilisation de CIVE entre deux rotations de cultures principales (qui a aussi l’immense avantage d’éviter de laisser les sols nus limitant ainsi les labours et le lavage des sols) et, le risque est grand, surtout en période de tension, d’une concurrence entre les fonctions agricoles.

Par ailleurs, non seulement les méthaniseurs peuvent avoir des fuites de gaz mais en plus pour garantir qu’une grande masse de digestat ne pollue les sols (et les nappes phréatique), il faut non seulement chauffer plus fort le digestat (plus compliqué pour une petite installation agricole) mais il faut également répartir le digestat sur une multitude d’exploitations agricoles idéalement hors zones d’infiltration très rapide qui conduiraient les polluants du digestat directement dans les nappes phréatiques. Il faudrait également introduire plus d’intrants riches en produits ligneux pour que le digestat ramène de la matière organique des sols mais les végétaux ligneux ne sont pas très rentables en termes de méthanisation … cet article de différents chercheurs de l’INRAE fait le point sur les potentiels « méfaits » de la méthanisation en matière de qualité agronomique.

Enfin, bien qu’un méthaniseur relève du régime des ICPE (installation classée pour la protection de l’environnement), la réglementation a été assouplie en juin 2018. Si le méthaniseur consomme moins de 100 tonnes de matières par jour, un enregistrement auprès de la préfecture suffit. Au-delà, le régime de l’autorisation implique une enquête publique d’un mois pour recueillir l’avis du public mais dans la mesure où un gros méthaniseur de 610 kW consomme 30 tonnes par jour, peu de projets sont concernés par l’enquête publique.

Ce qui nous évite trop de souci en France, notamment du point de vue de la compétition sur les sols, c’est bien que la méthanisation ne soit encore que marginale.  

Actuellement, selon une étude de l’ONRB de septembre 2022, seulement 5,5% de la ration annuelle moyenne des méthaniseurs français est constituée de cultures principales et la majeure partie des produits végétaux sont des Cive (13% de la ration moyenne) et des résidus de grandes cultures (2%). Les effluents d’élevages constituent encore 55% de cette ration mais la situation est très contrastée selon les régions.

Toutefois, la question se pose avec le déploiement prévu ou si la méthanisation se développe dans des secteurs où il n'y a pas d'effluents d'élevage, et qui dépendent davantage des cultures méthanogènes. Il pourrait alors s’organiser une concurrence des terres puisque la plupart du temps, ce qui fait le meilleur méthane est aussi comestible (tourteaux de colza, maïs…) ou exploitable (paille pour le bâti). En 2014, près de 7 % de la surface agricole allemande était dédiée aux 10 000 méthaniseurs du pays. Comme il s’agit en général d’une culture très émettrice de carbone (maïs par exemple), le gain envisagé peut devenir négligeable voire négatif si ces plantations remplacent des prairies agricoles ou pire des forêts voire, comme cela é été constaté en Allemagne des tourbières.

Que prévoit la Loi en regard de ces contreparties potentielles ou avérées ?

Notons en premier lieu au niveau économique que, pour les unités qui valorisent l’énergie par injection dans les réseaux de gaz : le tarif d’achat de l’énergie baisse de plus de 20 % si les résidus végétaux ne sont pas des inter-cultures de couverts mais des cultures énergétiques dédiées.

Par ailleurs, le décret n° 2016-929 du 7 juillet 2016 avait introduit un seuil de «15% maximum de cultures alimentaires ou énergétiques» dans la ration utilisée par les méthaniseurs. L’idée était de précisément éviter que les cultures normalement alimentaires ne soient utilisées (à plus de 15%) pour nourrir les méthaniseurs.

Certaines dérives sont constatées par certains chercheurs de l'INRAE : « de nombreuses cultures sont déclarées comme Cive alors qu'il s'agit de cultures principales à vocation énergétique et non pas de cultures intermédiaires. Une des rotations préférées en méthanisation (Cive d’hiver) est la suivante : céréales d'hiver semées à l'automne, récoltées avant maturité en mai pour alimenter les méthaniseurs, suivies de maïs récolté en septembre par ensilage pour alimenter les méthaniseurs, suivi de céréales …»

Pour anticiper la montée en force de la méthanisation, et répondre à ces dérives, le Décret n° 2022-1120 du 4 août 2022 précise qu’une culture est dite principale si elle répond à au moins un des critères suivants :

  • Unique culture récoltée sur une parcelle au cours d'une année civile
  • Culture déclarée comme culture principale dans une demande d'aide relevant d'un régime de soutien relevant de la politique agricole commune (PAC)
  • Culture récoltée sur une parcelle pour laquelle aucune demande d'aide relevant d'un régime de soutien relevant de la politique agricole commune n'a été faite pour l'année de récolte
  • Culture présente sur la parcelle au 1er juin, ou, le cas échéant, à une autre date comprise entre le 1er juin et le 15 juin, définie par le représentant de l'Etat dans le département, au regard des spécificités climatiques et des pratiques culturales
  • Culture pérenne mentionnée à l'article R. 411-9-11-1 du code rural et de la pêche maritime ou culture cultivée sur une parcelle sur laquelle une culture pérenne est implantée. »

Le décret complète également la notion de « culture intermédiaire » en ajoutant un critère spatial (« des cultures cultivées sur l'Union européenne ») et un critère temporel (des « cultures qui sont semées et récoltées entre deux cultures principales récoltées sur une année civile ou deux années civile consécutives »).

Ce nouveau texte clôt-il le débat sur la distinction entre cultures principale et cultures intermédiaires, entre cultures vivrières et cultures à vocation énergétique… ?

L’histoire ne le dit pas encore mais pour permettre une mutualisation de la vérification avec le contrôle du critère de durabilité de la biomasse introduit par les articles 29 et 30 de la directive RED2, le respect de la limite de 15% de cultures alimentaires pour chaque lot de biométhane injecté est calculé sur une période de production inférieure à un an.

Cette directive CE 2018/2001, dite RED 2 (pour Renewable Energy Directive II) définit l'objectif de développement des énergies renouvelables en Europe et les règles du jeu pour l'atteindre. Initialement centrée sur l'encadrement de la production des biocarburants, sa deuxième version, publiée en 2018, a étendu le champ de ses exigences à la production de chaleur, de froid, d'électricité à partir de la biomasse et donc à la méthanisation. Pour contribuer aux objectifs de développement d'énergies renouvelables, les sites de production les plus importants ( > 19.5 Gwh par an) vont devoir rendre des comptes :

  • sur la durabilité de la biomasse utilisée 
  • pour les sites les plus récents, sur l'atteinte d'un niveau de réduction d'émissions de Gaz à Effet de Serre (GES).

La certification de la durabilité de la production devient une obligation pour les méthaniseurs qui veulent commercialiser le produit en Europe et bénéficier du tarif d’achat en France à partir du 1er juillet 2023.  

Les lots produits sur des sites mis en service entre le 1er janvier 2021 et le 31 décembre 2025 doivent présenter un potentiel de réduction des GES d'au moins 70% par rapport aux émissions résultant de l'utilisation d'un combustible fossile de référence ; cette exigence passera à 80% pour les sites mis en service à compter du 1er janvier 2026.

L'avis de Vizea sur le biogaz

L’annonce du potentiel industriel de 20% de biogaz conforte la faisabilité technico-économique du 10% prévu actuellement par la PPE. Il conforte nos prospectives ou potentiels territoriaux comme gage de crédibilité : le taux de 10% de biogaz est largement accessible pour 2030 !

Ce taux est d’autant plus accessible que la consommation de gaz globale baisse !C’est même sûr qu'en divisant par 4 la consommation de gaz actuelle alors le taux de biogaz peut atteindre les 20 voire les 30%.

D’ailleurs, Solagro (responsable du scénario Afterre 2050 en lien avec Negawatt) continue de pousser le développement de la filière, tout en prenant en compte les dérives évoquées mais avec parfois des hypothèse un peu optimistes ou du moins ne prenant pas en compte les augmentations récentes du prix du gaz.

Nous préconisons ainsi, hors spécificités territoriales, de :

  • Maintenir l’objectif de baisse drastique (par la sobriété mais surtout par le changement de vecteur énergétique) de la dépendance au gaz,
  • Maintenir voire amplifier l'objectif ambitieux de biogaz (plutôt à destination des transports),
  • Conseiller aussi une certaine prudence pour veiller à ce que cette course au biogaz ne perturbe ni l’éco système économique des agriculteurs, ni les objectifs de séquestration carbone (voir les études 4/1000), ni les sols et nappes phréatiques, ni l’attractivité du territoire.

Comme l'évoque Salagro, tout projet de méthanisation doit s’adosser à un projet agricole, jamais le contraire.

 

 A lire en complément : ce rapport du sénat fait un point bien plus exhaustif sur la filière

 

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