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La trame noire

Quel citadin ne s'est jamais émerveillé lors d'un séjour à la campagne de pouvoir voir les étoiles si distinctement ? A l'heure où 55% de la population mondiale habite en ville, ses éclairages nocturnes polluent le ciel et empêchent ce plaisir si simple de regarder la voute étoilée. Cette pollution lumineuse a bien d'autres conséquences, qui pourraient facilement être évitées.

 Paris, Ville lumière?

Quelques définitions

On parle de pollution lumineuse lorsqu'un milieu ouvert est confronté à un excès nocturne de production lumineuse d'origine humaine nuisant à l'obscurité normale et souhaitable de la nuit. La perception de l'environnement est donc dégradée, tant pour les humains que pour les autres espèces.

Les sources les plus communes de pollution lumineuse sont la lumière artificielle issue de sources fixes et permanentes, telles que les éclairages des villes, les luminaires des parkings, les phares des littoraux, les illuminations d’éléments du patrimoine architectural, les éclairages des stades etc. Les phares des véhicules et autres sources mobiles ne doivent pas non plus être oubliés.

Il s'agit par exemple d'enseignes publicitaires, des éclairages urbains, des bureaux ou vitrines de magasins laissés allumés la nuit etc. Les particuliers peuvent également contribuer à cette pollution avec des éclairages sur leurs façades, dans leurs jardins, sur leurs balcons etc.

Il existe plusieurs formes de pollution lumineuse :

  • La sur-illumination, provenant d’une multiplication de sources lumineuses inutilement puissantes, d’une mauvaise conception des locaux et éclairages ;
  • La lumière éblouissante, due par exemple à un contraste brusque entre zones sombres et zones éclairées ou bien à une lumière trop intense ;
  • La lumière intrusive: lumière, le plus souvent provenant d’un lampadaire, qui éclaire l’intérieur d’habitations par exemple.

Le halo lumineux autour des agglomérations est la conséquence de toutes ces sources de lumières nocturnes, et peut se voir à plusieurs dizaines de kilomètres de l’agglomération source de la pollution.

En réponse à cette pollution lumineuse a été développée la notion de trame noire. Cette notion s'est construite en prenant exemple sur les trames vertes et bleues aujourd'hui bien connues.

La Trame noire peut ainsi être définie comme « un ensemble connecté de réservoirs de biodiversité et de corridors écologiques pour différents milieux (sous-trames), dont l’identification tient compte d’un niveau d’obscurité suffisant pour la biodiversité nocturne. » (Romain SORDELLO, Fabien PAQUIER et Aurélien DALOZ, Trame Noire)

Il s'agit ainsi d'espaces peu soumis à la pollution lumineuse dans lesquels la biodiversité sera faiblement impactée par les éclairages nocturnes. En effet, la lumière artificielle nocturne, de la même manière qu'une route ou un mur, occasionne une fragmentation des milieux. On pense ainsi immédiatement aux insectes tournant sans fin autour d’une lampe laissée allumée la nuit.

Un peu d’histoire : mais pourquoi donc éclaire-t-on autant ?

Alors qu’au Moyen-Age sévissent les crimes et délits nocturnes dans les villes et sur les chemins, les tentatives de police privée à Paris au 13e siècle se soldent par un échec. En effet, les rues obscures de la capitale effraient même les membres de cette police. S’en suivent les premiers projets d’éclairage public, avec l’obligation pour chaque propriétaire [d’éclairer] sa façade à l'aide d'un pot-à-feu sous peine, pour tout contrevenant, d'amende et de peine de prison. A l’époque où les incendies font rage, on imagine sans peine que cette ordonnance de Saint-Louis n’a été que très peu respectée. Des projets similaires seront tentés par les différents souverains français, sans plus de succès. Ce n’est que sous la politique sécuritaire de Louis XIV qu’un véritable éclairage public verra le jour. Les premières lanternes d’éclairage public voient le jour dans les rues de Paris en 1667, grâce au Lieutenant Général de Police Nicolas de la Reynie. Cette mesure sera élargie aux principales villes du royaume en 1697. 5772 lanternes sont présentes dans Paris en 1729. La technologie de l’époque repose sur des mèches charbonnées à couper toutes les heures.

En 1744, la lanterne à réverbère voit le jour grâce à l’ingénieur français Dominique-François Bourgeois. Une mèche de coton encirée et plongée dans de l’huile est placée sous un réflecteur argenté qui réverbère la lumière vers le sol lorsqu’elle brûle. A partir de 1759, Les chandelles à mèches charbonnées sont remplacées par l’éclairage à l’huile.

L’éclairage au gaz naît à la fin du 18e siècle et les premières lanternes à bec de gaz font leur apparition à Londres en 1820. Près de 10 ans plus tard, on les retrouve pour la première fois en France. Alors qu’elles ne sont que quelques dizaines en 1831, en 1870 elles composent la majorité des lanternes de Paris, soit près de 21000.

Bien que l’éclairage électrique et notamment à incandescence existe depuis 1879, ce n’est qu’à partir du début du 20è siècle qu’il fera son apparition pour l’éclairage public en France et à Paris. La multiplication des technologies de l’éclairage (lampes à décharge type néon, tubes fluorescents, lampes à vapeur de sodium, à iodures métalliques, et aujourd’hui LED) accompagnée d’une augmentation de la production d’électricité ont permis la multiplication des éclairages publics. La multiplication des éclairages publics répondait à un supposé besoin de sécurité, accompagné d’une volonté de maîtriser la nuit pour permettre une activité permanente, de jour comme de nuit alors que l’éclairage public nocturne ne garantit pas une meilleure sécurité. Ainsi, la majorité des cambriolages et vols avec agression ont lien en plein jour. Ainsi 80% des cambriolages ont lieu dans la journée et plus de la moitié entre 14h et 17h, heures auxquelles il n’y a pas d’éclairage public. De même, une route éclairée n’est pas une route plus sûre. Ainsi des routes massivement éclairées induisent éblouissement et donc fatigue du conducteur. A l’inverse, une route non éclairée inciterait à la prudence et les automobilistes roulent moins vite.

Les communes utilisent également l’éclairage pour mettre en valeur leur patrimoine architectural (églises, châteaux, mairies …), mais les illuminer en permanence ne revient-il pas à les banaliser ?

De nombreux effets négatifs de la pollution lumineuse

L'alternance entre le jour et la nuit a rythmé la vie sur terre depuis des milliards d'année. L'apparition d'éclairages nocturnes vient perturber cette mécanique bien rodée et nécessaire à l'équilibre des êtres vivants.

La pollution lumineuse a tout d'abord des effets négatifs importants sur la biodiversité. Elle perturbe les déplacements des animaux nocturnes, par attraction ou répulsion de ceux-ci. Par exemple certains insectes se repèrent normalement grâce à la lumière de la lune et se trouvent donc attirés par les éclairages artificiels et sont alors désorientés. A l'inverse, la vision de certaines espèces n'est pas adaptée à des niveaux de lumières importants, ou alors les associent un risque accru de prédation, et ils évitent alors ces espaces pollués. Les oiseaux migrateurs dépendant du ciel étoilé pour se repérer la nuit peuvent tournoyer jusqu'à épuisement autour de points lumineux ou entrer en collision avec des tours, des phares. De la même manière, les oiseaux diurnes des villes voient leur rythme affecté et certains mâles chantent toute la nuit en vain, et s'épuisent. Même les plantes soumises à des excès de lumière sont impactées, que ce soit dans leur saisonnalité ou par une plus faible pollinisation par les insectes nocturnes.

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Principaux phénomènes de pollution lumineuse ayant des effets sur le vivant. Source : d'après Sordello, 2017

On obtient alors des écosystèmes dysfonctionnels, dans lesquels la santé humaine est également affectée. Les humains sont soumis au rythme circadien d'alternance jour/nuit. La pollution lumineuse, vient perturber ce cycle par stimulation des cellules photosensibles de la rétine. Or, la mélatonine, hormone participant à l'endormissement et au sommeil, est produite lors des baisses de luminosité de l'environnement. En situation de production lumineuse, moins de mélatonine est produite, induisant des difficultés d'endormissement, un sommeil de moindre qualité, et donc une fatigue accrue. Des effets indirects se dessinent également : dépression, obésité, santé cardiovasculaire, diabète notamment.

Par ailleurs, l'observation astronomique est fortement touchée par l'augmentation de la pollution lumineuse. Certains observatoires sont ainsi mis en péril par la multiplication des éclairages nocturnes. En effet, les éclairages des villes et agglomérations viennent dégrader parfois sur plusieurs dizaines voire centaines de kilomètres la qualité du ciel nocturne.

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Pollution lumineuse dans le monde - Source : www.lightpollutionmap.info

Alors que certaines estimations suggèrent que l'éclairage public représentent environ 40% des consommations d'électricité des collectivités territoriales, pour environ 20% de leur facture énergétique (Ademe, Economisons l'éclairage public !, 2020), les éclairages publics pèsent bien lourd dans le budget des collectivités pour des effets négatifs indéniables et facilement évitables.

A l'heure de la sobriété énergétique, prônée notamment dans les Plans Climat Air Energie Territoriaux, diminuer l'éclairage public d'un territoire contribuera donc aussi bien à diminuer sa facture énergétique (et donc à atteindre les objectifs fixés par les PCAET) qu'à diminuer la pollution lumineuse et ainsi améliorer le fonctionnement des écosystèmes nocturnes et la santé humaine. On retrouve ici l'approche "Une seule santé" (One Health, notion développée dans un précédent article : http://vizea.fr/actualites/actus/1050-une-seule-sante-le-gouvernement-lance-son-4eme-plan-national-sante-environnement.html)

Des solutions existent !

Des solutions simples existent pour diminuer la pollution lumineuse des territoires :

  • Réaliser un diagnostic de l'éclairage public pour mieux connaître le patrimoine existant et identifier les solutions les plus efficaces
  • Définir les besoins et niveaux d'éclairement
  • Modifier l'éclairage public du territoire en utilisant les leviers suivants :
    o Adapter les puissances lumineuses
    o Choisir des luminaires performants
    o Choisir des commandes efficientes
    o Supprimer les points inutiles
    o Etudier la possibilité d'éteindre en milieu de nuit l'éclairage de tout ou partie du territoire

Le choix des longueurs d'ondes des éclairages est également important : les lumières comportant une forte proportion de lumière bleue perturbent plus les écosystèmes et la santé humaine que les lumières plus rouges.
De nombreux financements et aides existent pour optimiser les éclairages publics des territoires, notamment auprès des syndicats d'énergie ou de l'Ademe. Les petites communes peuvent également faire appel à un conseil en énergie partagé lors de leurs projets.

Des règles d'extinction nocturnes sont en vigueur sur tout le territoire français pour les différentes composantes de la pollution lumineuse : publicité et pré-enseigne lumineuse des agglomérations de moins de 800 000 habitants, enseignes lumineuses, vitrines de magasin ou d'exposition, éclairages intérieurs et façades des locaux professionnels.
La mise en place d'un règlement local de publicité permet également de mettre en place des obligations d'extinction des publicités et pré-enseignes lumineuses pour les agglomérations au-dessus de 800 000 habitants.

L’arrêté du 27 décembre 2018 reprend notamment les plages horaires existantes et précise un certain nombre de cas particuliers sur la temporalité :

  • Les lumières éclairant le patrimoine et les parcs et jardins accessibles au public devront être éteintes au plus tard à 1 h du matin ou 1 h après la fermeture du site ;
  • les éclairages intérieurs de locaux à usage professionnel doivent être éteints une heure après la fin d’occupation desdits locaux ;
  • les éclairages des vitrines de magasins de commerce ou d’exposition sont éteints au plus tard à 1 heure ou une heure après la fin d’occupation desdits locaux si celle-ci intervient plus tardivement. Elles peuvent être allumés à partir de 7 heures ou une heure avant le début de l’activité si celle-ci s’exerce plus tôt ;
  • les parkings desservant un lieu ou une zone d’activité devront être éteints 2 h après la fin de l’activité, contre 1 h pour les éclairages de chantiers en extérieur ;
  • les éclairages extérieurs destiné à favoriser la sécurité des déplacements, des personnes et des biens, liés à une activité économique et situés dans un espace clos non couvert ou semi-couvert, sont éteints au plus tard 1 heure après la cessation de l’activité et sont rallumés à 7 heures du matin au plus tôt ou 1 heure avant le début de l’activité si celle-ci s’exerce plus tôt.

Il convient également de rappeler que le maire de la commune est chargé de contrôler le respect de ces dispositions et de mettre en demeure la personne ou entreprise en infraction dans un délai qu'il détermine.

(https://www.service-public.fr/professionnels-entreprises/vosdroits/F24396)

Les préfets peuvent prendre des dispositions plus restrictives pour tenir compte de sensibilité particulière aux effets de la lumière d’espèces faunistiques et floristiques ainsi que les continuités écologiques

Enfin, la sensibilisation des habitants est également importante pour éviter la multiplication des petits éclairages nocturnes dans leurs jardins, sur leurs balcons, sur leurs façades etc.

Les collectivités peuvent tirer de nombreux bénéfices d’une trame noire de qualité :

Des économies d'énergie et donc des dépenses en moins seront réalisées par les territoires ayant diminué leurs éclairages nocturnes.

Des certifications ou labels peuvent également être reçus par les territoires ayant instauré une trame noire de qualité. Ainsi, le label Villes et Villages étoilés de l'ANPCEN (Association nationale pour la Protection du Ciel et de l'Environnement Nocturne) valorise les actions menées pour assurer une meilleure qualité de la nuit et de l'environnement nocturne. Ce label peut être un atout d'attractivité pour les territoires, notamment pour les activités touristiques.

A plus grande échelle, les Réserves Internationales de Ciel Etoilé est un label de référence mondiale attribué par l’International DarkSky Association (IDA) pour les territoires "[bénéficiant] d’un ciel étoilé d’une qualité exceptionnelle qui fait l’objet d’une mise en valeur à des fins scientifiques, éducatives, culturelles, touristiques ou dans un but de préservation de la nature." (parcsnationaux.fr) En France, trois territoires bénéficient de ce label : le Parc national des Pyrénées, le Parc national des Cévennes et le Parc national du Mercantour. Il est possible de valoriser l’obtention de ce label par des activités ciblées de tourisme, telles que des promenades nocturnes avec observation astronomique par exemple.

Enfin, la pollution lumineuse est une des rares (si ce n’est la seule) pollutions anthropiques qui disparaît aussitôt qu’elle n’est plus générée !

Alors, qu'attendez-vous pour éteindre la lumière et rallumer les étoiles ?

 

Sources :

TRAME NOIRE, Méthodes d’élaboration et outils pour sa mise en œuvre, Romain SORDELLO, Fabien PAQUIER et Aurélien DALOZ

Ademe, Economisons l'éclairage public !, 2020

https://www.ofb.gouv.fr/actualites/la-decouverte-de-la-trame-noire

http://www.parcsnationaux.fr/fr/actualites/reserves-internationales-de-ciel-etoile-le-parc-national-du-mercantour-rejoint-les

https://www.service-public.fr/professionnels-entreprises/vosdroits/F24396

https://parlonssciences.ca/ressources-pedagogiques/les-stim-en-contexte/pollution-lumineuse

https://www.futura-sciences.com/planete/questions-reponses/pollution-impact-pollution-lumineuse-organismes-1100/

https://www.anpcen.fr/index.php5?id_rub=&id_ss_rub=

http://sii-technologie.ac-rouen.fr/Microtechniques/STI2D/Projet_Lumea/Pour_aller_plus_loin/Histoire_de_l_eclairage_en_France.pdf

http://smartlighthub.eu/leclairage-public-partie-1-a-laube-de-n/

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